Franck NA est multidisciplinaire. Cinéaste des habitants, il réalise des fictions participatives (sept films tournés dans 6 pays différents).
II crée des œuvres éphémères pour des événements internationaux (en particulier les Forum Mondiaux Sociaux).
Franck NA a reçu le soutien de la Fondation Inside Out Project (New York). Il a créé une banque de la Parole donnée : la Banque des Serments.
La Banque des Serments a ouvert des succursales provisoires à Rio de Janeiro, Genève, Paris, Saint Montan, …
Il crée des réseaux de lettres-videos entre des habitants (en particulier d’enfants de quatre pays francophones dont la compilation a été sélectionnée au Sommet de la Francophonie de Dakar).
Expert en plans sur la comète, il consacre ce qu’il lui reste de quotidien à la peinture.
L’EXPOSITION Franck NA s’appelle « faire bonne figure »
Peintures récentes (récentes sauf « Coloriage jaune », huile sur toile, grand format: environ 2.2 par 2.2m).
« Faire bonne figure »
Dans la langue classique, cette expression signifiait que l’on se donnait une bonne apparence dans le monde, que l’on jouait un personnage de grande importance.
Cela signifiait également que l’on devait avoir l’air accueillant. Aujourd’hui, « faire bonne figure » consiste à se montrer sous son meilleur jour, à paraître de bonne humeur en public, même si on ne va pas très bien.
On donne le change, malgré les circonstances. On pratique tant qu’à faire de l’art, alors que s’effondre la civilisation.
On chante pendant que brûle Rome.
On a le panache de rire sur le bûcher alors que déjà, on sent le roussi.
La figure annonce une peinture affichant des signes reconnaissables, traduisant des formes identifiables: corps humains, visages, table, verre, chaise au soleil… Cela va dans le même sens: celui des TANKAFFAIRISTES.
Technique
Si les peintures à l’huile demeurent dans les règles de l’art, certaines pièces ont un aspect inconnu, parce que Franck NA en invente la technique: la feuille d’or déposé à chaud sur certains de ces dessins, ou l’impression numérique à partir de typons qui composent la couleur, les cylindres gravés qui impriment des motifs répétitifs ou d’autres savoir-faire alambiqués qui n’enlèvent jamais une certaine brutalité ou virulence d’exécution.
Entretien avec Franck NA à l’occasion de la mise en place de l’exposition temporaire
Intervieweur : Je voulais parler avec toi de ce que ce qui était dit dans le texte que tu m’as transmis pour préparer l’exposition, qui parle de toi et de ton travail : j’aimerais bien que tu m’en dises un peu plus, parce que je trouvais ça intéressant quand il y est dit que tu es « multidisciplinaire », que…
Franck Na : Ce n’est pas moi qui l’ait écrit, mais enfin ce n’est pas grave…
Approches multimédias
… oui, d’accord. On y utilise la formule « cinéaste pour habitant » et ça, ça m’a intrigué et donc j’aimerais bien que tu m’en dises un peu plus là-dessus ?
Franck Na : Alors, il y a plusieurs questions dans ce que tu me demandes. Moi ce que j’aurais envie de faire, c’est d’en parler de manière simple, c’est-à-dire qu’il se trouve que je travaille avec ma caméra autant qu’avec mes pinceaux, et que quand je travaille avec ma caméra, souvent, il s’agit de collecter la parole des autres. Que ce soit même dans une fiction, on est à l’affût, en étant derrière la caméra, du langage qui se développe devant soi, et avec ce qui est dit, on fait un langage cinématographique. Et, la peinture, ça me permet de parler à la première personne, je crois. C’est-à-dire que, à ce moment-là, je suis toujours dans le silence, parce que, quand on est derrière la caméra, on n’est pas censé prendre la parole. On est censé respecter celle qu’on développe, et c’est celle des autres. Donc, à travers différentes opérations artistiques, ça s’est confirmé, c’est-à-dire que, j’étais là, à l’écoute, soit dans les parcs à parole, qui sont des parcs d’attractions que j’ai pu créer autour de la poésie, soit dans des films, jusqu’à la banque des serments, qui aujourd’hui est un lieu où on collecte la parole.
Et la peinture c’est de nouveau un moment de silence, mais, cette fois-ci, c’est… je m’écoute. Je suis à l’écoute de la musique que je peux avoir à l’intérieur de moi
Qui est une espèce d’apogée de la mise en valeur de la parole des autres, et je me mets au même titre que les autres, dans le sens que j’ai moi aussi posé un serment dans cette banque, mais pour l’essentiel, il s’agit d’être surtout dans le silence et l’écoute. Et la peinture c’est de nouveau un moment de silence, mais, cette fois-ci, c’est… je m’écoute. Je suis à l’écoute de la musique que je peux avoir à l’intérieur de moi, donc c’est vrai que ça peut paraître polymorphe, comme ça, mais ça ne me pose plus du tout de problème. Et je pense que, même si, souvent c’est beaucoup plus simple évidemment – on l’a rabâché –, de mettre les créateurs dans une case… c’est commercialement plus simple, etc. C’est plus simple aussi pour comprendre, pour percevoir.
Mais enfin, bon, on sait qu’avec le XXe siècle et on pourrait même parler du quattrocento italien, on est habitué à ce que les créateurs aient autant de bras que Vishnu. Même peut-être moins aujourd’hui qu’avant d’une certaine manière, parce que si on regarde par exemple Jules Verne, c’est à sa façon, quelqu’un qui s’intéressait à des domaines scientifiques de manière très pointue. Et puis les Vinci et consorts, est-ce qu’ils étaient plus peintres que scientifiques, ou que philosophes ? Donc, moi, ça ne me dérange pas. Je pense qu’on est sur une démarche… il y a une musique qui nous entraîne. Elle nous fait aborder, des zones de recherche, des zones d’intérêt qui sont… variées. Peut-être d’autant plus aujourd’hui, où on a quand même une sollicitation qui fait que les pôles d’intérêt peuvent être nombreux, voire dissous.
je me limite, en tout cas en peinture, à des sujets qui sont des sujets… « bateaux ». En fait, des sujets par excellence : le nu, les natures mortes, les paysages. Des choses qui ne m’appartiennent pas en propre. Après, la manière dont je les traite est révélatrice de ma position et du regard que je porte au monde.
Je vois le rapport à internet qui fait qu’on zappe énormément, et là-dedans, comment se retrouver, si ce n’est de développer un langage qui est personnel. Le contenu n’est peut-être pas si important que ça… comment dire : oui, je pense que je me limite, en tout cas en peinture, à des sujets qui sont des sujets… « bateaux ». En fait, des sujets par excellence : le nu, les natures mortes, les paysages. Des choses qui ne m’appartiennent pas en propre. Après, la manière dont je les traite est révélatrice de ma position et du regard que je porte au monde. Oui c’est sûr. Et puis, la manière de brasser tout ça. La manière pour laquelle j’en arrive là. C’est un mélange barbare de violence et de sophistication dans les procédés de construction. Il y a quelque chose qui me correspond, oui c’est sûr.
D’accord. Est-ce que tu peux m’en dire plus sur cette expérience, quand tu parles de « banque de la parole donnée », de « banque des serments ». Est-ce que tu peux, un peu, expliquer, préciser…
Franck Na : En fait, ça a quand même des liens avec la peinture. D’abord c’est une situation cinématographique, plus que basique. C’est-à-dire très frontale : il s’agit de filmer des gens face à caméra, dans des décors qui sont souvent surexposés. Comme à Rio, comme j’ai pu le faire donc lors du Sommet de la Terre et le Sommet des Peuples. Et le principe est très simple. Je me mets au service de personne pour collecter des engagements, des promesses : des serments. Et comme c’était dans des cadres qui étaient liés à la « défense de la nature » on va dire, ou assez politiquement engagés, il y a eu beaucoup de vidéos de personnes, qui se sont engagées sur l’avenir de la planète, la santé de la planète, leur engagement personnel, essentiel, fondamental. Parce que je les aide, à travers ce dispositif, à chercher ce qui est le plus important dans leur vie. Donc si je le faisais avec toi, on se mettrait avec la caméra, en trio, comme ça, et puis je t’aiderais à dire ce sur quoi tu es prêt à jurer, ce sur quoi tu es prêt à donner ta parole. Alors, il y a des choses très… terre-à-terre, il y a des personnes qui jurent sur leurs enfants, et puis, voilà, c’est un peu ras les pâquerettes, mais c’est très important, donc je n’ai pas d’avis dessus. Je ne porte aucun jugement sur le contenu, par contre j’aide à éclaircir et aller un peu plus loin, dans quel type d’engagement on peut avoir. Et pour tout dire, en ce qui me concerne, je m’intéresserai à avoir des serments anonymes et amoureux.
Voilà, c’est vraiment pour cela que je le fais, c’est-à-dire, un gamin que je ne connais pas, à l’autre bout de la planète, qui donne tout son cœur, en disant « Mélanie c’est pour la vie » : moi je le fais pour ça. Mais pour arriver à ça, ça a beaucoup de contours et de détours.
Je me mets au service de personne pour collecter des engagements, des promesses : des serments. Et comme c’était dans des cadres qui étaient liés à la « défense de la nature » on va dire, ou assez politiquement engagés, il y a eu beaucoup de vidéos de personnes, qui se sont engagées sur l’avenir de la planète, la santé de la planète, leur engagement personnel, essentiel, fondamental. Parce que je les aide, à travers ce dispositif, à chercher ce qui est le plus important dans leur vie
Mais en tout cas, la banque des serments, c’est un type d’opération que je mène depuis des années, que je porte et que je continue, et que je vais développer. La banque des serments est invitée au Forum Social Mondial de Montréal en août prochain. Donc je vais passer un moi à Montréal pour poser cette banque dans ce cadre-là, et ça ne m’empêche pas, au contraire, de dessiner, de… de me retrouver dans ma solitude, oui : picturale, on va dire.
Mais il y a un côté frontal. C’est-à-dire si on devait faire un lien avec la peinture, c’est aussi beaucoup de portraits : oui, j’ai oublié de le dire pardon. C’est pour moi, c’est vraiment des portraits. Ce n’est pas du tout que je n’écoute pas ce qui est dit, mais d’abord c’est dans des langues très variées, dès fois je ne comprends pas. Comme ne japonais, il a fallu que je me fasse traduire longtemps après. Moi ce qui m’intéresse ce sont des personnes qui n’ont aucune dérision : c’est l’inverse du cynisme. C’est l’inverse du sarcastique. C’est-à-dire, que ce sont des gens qui sont face à la caméra et qui avec beaucoup d’authenticité, le plus de sincérité possible, vont lâcher un truc sur leur vie, sur leurs engagements, ce sur quoi ils sont prêts à donner leur parole. Et la valeur de cette parole donnée est très différente d’une personne à l’autre, d’une culture à l’autre, je ne veux pas rentrer dans les détails, là, parce que c’est un sujet qui me passionne, mais, moi ça me permet d’avoir face à moi des gens qui sont très dénudés, de comportements sociaux habituels, et de politesse, au sens de comportements « bien entendu » (et « bien attendu »). J’ai en face de moi des personnes qui sont dégagées de leurs habitudes sociales. Il y a de ça… et ce début de pureté, ce début de véracité fait que j’ai face à moi des personnes que je prends en photo – et c’est un peu hors sujet par rapport à l’expo que je vais faire dans le cadre du château –, mais je fais des photos, au moment où les gens ont lâché ce qui me paraître être le plus important, et puis j’envoie cette photo à New York, dans une fondation (qui est tenue par JR, un artiste d’origine française, qui est aux États-Unis maintenant) qui s’appelle Inside Out Projet, et ils me renvoient des grands tirages sur papier. Donc j’ai fait environ quatre-cinq fois avec eux et on va le faire encore.
C’est-à-dire, que ce sont des gens qui sont face à la caméra et qui avec beaucoup d’authenticité, le plus de sincérité possible, vont lâcher un truc sur leur vie, sur leurs engagements, ce sur quoi ils sont prêts à donner leur parole. Et la valeur de cette parole donnée est très différente d’une personne à l’autre, d’une culture à l’autre.
Et je fais des installations avec ces grands portraits dans l’espace public, et c’est là, à nouveau ou l’aspect plastique prend une grande place, c’est-à-dire qu’il n’y a plus de mot. Les vidéos, elles, finissent sur un site internet qui s’appelle la banque des serments, mais ma partie plastique, elle se situe dans chaque étape, où je présente ces grands portraits, par exemple flottants sur le Rhône, collé sur des radeaux, toujours dans des endroits publics ou extérieurs ou naturels, qui fait que cette exposition et « biodégradable »… chaque fois l’exposition est éphémère et se détruit. Et je travaille sur le volume que ça produit : la dernière étant dans un lieu officiel, qui s’appelle la villa Dutoit à Genève, et l’expo y était en extérieur sur une des terrasses.
Juste un mot là-dessus, pour faire comprendre, comment j’en arrive là : c’est que je voulais, sous la neige, faire cette exposition, de ces grands portraits de ces personnes qui donnent leurs paroles, et j’ai ramassé tous les meubles de mon appartement, je les ai amenés sur cette terrasse, et j’ai fait un volume, une installation avec ces meubles, c’est-à-dire mon lit, ma bibliothèque, ma table de cuisine, ma table de travail, etc., les chaises. Et j’ai collé les portraits dessus, et donc tout ce détruisait. L’exposition a duré un mois et demi / deux mois, et voilà. C’est le type d’exposition. Donc, on refait des photos de cette exposition qui repartent à New York, qui sont diffusées dans des réseaux sociaux que je ne maîtrise pas du tout, qui sont ceux de cet énorme réseau culturel, qui s’appelle Inside Out Project. Ce qu’il faut savoir c’est que, au terme de l’exposition d’installations éphémères, des photos sont prises de l’installation, alors c’est un parti-pris, moi ce n’était pas du tout quelque chose que j’admettais dans la performance. Je pensais qu’il ne fallait pas faire de traces, et là au contraire, l’installation est propice à faire des clichés et ces clichés circulent dans les réseaux sociaux.
Approche et sculpture : ce que donne à voir l’exemple du lion de Verchaüs
Juste, aborder maintenant deux questions. L’une du côté de la sculpture, tu m’as fait parvenir la photo d’un lion ou d’un sphinx. Je sais que c’était quelque chose que tu as fait au château ? Est-ce que tu peux me dire si c’est quelque chose de représentatif de ce que tu fais actuellement et me parler un peu de ce que tu fais en matière de sculpture ?
Bon j’y tenais beaucoup à ce sphinx, à ce lion, parce que ça fait vraiment longtemps que je le porte l’idée de travailler sur un matériel comme celui des hourdis, des moellons, qui sont fabriqués dans la région, à Fabemi, avec le ciment Lafarge. On est dans la villa de la famille Lafarge, c’est évidemment un clin d’œil à l’historique de la villa.
Franck Na : Et puis le fait de faire un lion, qui est à la fois quelque chose qu’on voit dans les maisons cossues, à l’entrée des maisons cossues. Et puis maintenant, c’est galvaudé dans les villas « ça-me-suffit », on va trouver un lion en plâtre sur les entrées. Il y avait ce côté un peu moqueur, peut-être, mais, surtout, au-delà de ça, c’était de travailler, en tant que plasticien. Un sculpteur qui se mettrait à travailler avec des objets manufacturés.
Là c’est le hourdis, c’est le moellon, hein. Le module de base pour construire les villas, dans la région de la vallée du Rhône. Et donc, de la considérer comme un matériau pour faire une sculpture. C’est lui que je taille, au lieu de partir d’un moulage, et voilà, j’avais beaucoup de plaisir à le faire. Il est important pour moi, ce lion. Il existe toujours. Il a été déplacé dans un lieu, à Bourg-Saint-Andéol, qui est une ressourcerie. Donc il prend un autre sens aujourd’hui, parce que dans la ressourcerie, il y a l’idée de recyclage, et là on pense que les moellons sont recyclés pour faire les transformer en sculpture.
Et la plupart avait été fournis par le château de Verchaüs, sauf certains qui venaient de mon ancien atelier, qui se trouve lui aussi en Ardèche. Et le crépi que l’on voit, qui fait un peu penser à une fourrure de lion, est celui qui venait d’un mur de mon ancien atelier à Saint-Montan en Ardèche.
Juste pour compléter sur la dimension sculpture, il est dit dans la présentation que tu m’as fait passer, que tu as réalisé des œuvres dans les Forums Mondiaux Sociaux, est-ce que tu peux prendre un exemple pour donner à voir…
Dans les FMS je travaille sur des projets participatifs, donc je pense que ça va nous entraîner un petit peu loin. Juste pour répondre à la question, pour ne pas faire celui qui l’échappe, l’objet en volume que j’ai pu faire dans un Forum Mondial, ça a été la bibliothèque du Forum Social de Mumbai, en Inde, en 2004. C’était un arbre qui faisait plusieurs mètres de haut, dont le principe était de pouvoir montrer les livres qui gens qui venaient et qui pour beaucoup, beaucoup, des auteurs ou des éditeurs et donc n’avaient pas de vitrine. Donc il servait principalement à ça pour aller vite. Il se trouve que, moi, j’ai commencé très vite, quand j’étais gamin, au lycée, j’étais dans un endroit où on avait créé un atelier de sculpture. Donc j’ai toujours eu un rapport particulier avec le volume, mais voilà : on ne va pas refaire le pont de la Rivière Kwaï.
Si on devait prendre une image pour l’exposition à venir, il y a une espèce de naissance de Vénus qui enjambe un homme. Il y a de la feuille d’or aussi. Ça s’appelle Venance. C’est une contraction entre Vénus et naissance. Toujours est-il que c’est une espèce de reprise d’un Botticelli. Une fois de plus, c’est un sujet bateau, et je pense que ça serait plus représentatif.
Une peinture « enluminée »
J’essaie en fait de faire un panorama à partir de tout ce que tu m’avais envoyé, est-ce qu’on peut aborder le travail de la peinture. […] donc du côté de la peinture, tu m’as transmis cette œuvre, qui s’appelle la Terrasière, si j’ai bien compris. Est-ce que tu peux m’en dire un peu plus ? La technique que tu utilises, ce sont des feuilles d’or, c’est ça ? Est-ce que c’est représentatif de ce que tu fais ou est-ce que c’est quelque chose de très particulier ?
La terrassière, Franck NA
Franck Na : Ah, la Terrasière, ça vient de sortir, c’est vraiment la semaine dernière que ça a été fini. Alors, oui effectivement, il y a des feuilles d’or et ça l’est, représentatif.
Si on devait prendre une image pour l’exposition à venir, il y a une espèce de naissance de Vénus qui enjambe un homme. Il y a de la feuille d’or aussi. Ça s’appelle Venance. C’est une contraction entre Vénus et naissance. Toujours est-il que c’est une espèce de reprise d’un Botticelli. Une fois de plus, c’est un sujet bateau, et je pense que ça serait plus représentatif.
La Terrassière, ce que j’aime là-dedans, c’est parce qu’il me semblait qu’elle était très graphique. C’est comme si la peinture avait été tamponnée, comme si c’était en une fois. C’est la particularité de la peinture, par rapport à la musique qui est linéaire, c’est qu’on voit tout en une fois. Donc, souvent, je suis à me demander comment être dans une grande, grande frontalité, que tout soit donné très vite. Après ça ne veut pas dire qu’on n’a pas envie de rester sur la peinture, parce que c’est du temps d’une lecture. Parce qu’on se rend compte que finalement, même si j’admets une estampille, une espèce de tampon de la peinture qui est très immédiate – une forme immédiate – par contre l’essentiel, lui, est souvent en retrait, soit codé, soit brouillé, par un premier aspect. Contrairement à une affiche, qui elle doit donner une communication immédiate et qu’il n’y ait pas d’ambiguïté entre le message et la forme. Je crois que dans ma peinture, aujourd’hui, il y a manière d’être là, maintenant, complètement, tout de suite. Et un travail formel qui permet de rester pour savourer, et se rendre compte que, finalement on se fout de la mélodie : c’est-à-dire dans le sens que, à la fois le sujet est important, mais ce n’est pas lui qui a donné la forme. La forme principale.
Voilà, c’est un peu un discours de critique d’art plastique, mais quand même il y a quelque chose qui me correspond, là, dans ce sens. C’est difficile d’en parler comme il faut, mais c’est un phénomène qui est loin de l’immédiateté, mais qui pourtant l’utilise. Débrouille-toi avec ça (rires). Excuse-moi. Je n’ai pas beaucoup épilogué là-dessus, mais je suis dans une recherche plastique de cet ordre-là. Il y a aussi une forme de pudeur. C’est compliqué, parce qu’en même temps c’est très cru, et en même temps, il y a une forme de pudeur de ne pas lâcher le… de ne pas braquer la caméra sous les narines des gens et de ne pas lâcher l’essentiel en premier plan. Bon, je ne sais pas si ça aide…
Je ne comprends pas qu’on puisse utiliser l’or de cette manière-là. Et donc je l’utilise de manière beaucoup plus trash, beaucoup plus gestuelle. Et pour souligner des points de lumière. Qui sont des lignes, et non pas des fonds. Voilà. C’est juste la grande différence de l’usage habituel de l’or : chez moi, c’est arraché… il y a une violence.
Il me semble que va donner autant à lire, ou à dire qu’à voir : à comprendre, à donner des réponses qu’à faire se poser de nouvelles questions. Ce que tu me dis là, ça retranscrit bien ce qu’on ressent et ça donne à voir, retranscrit bien, ce que je vois dans l’image que tu m’as transmise. C’est parfait, il y a vraiment un accord entre les mots et les signes donnés…
Franck Na : Tant mieux. […] Alors l’or, juste pour en dire un mot, j’ai une pratique différente, par exemple, des enluminures, qui elles, très souvent, utilisent l’or comme un fond. Ce qui fait que la figure – ce qui est représenté, très souvent, ce sont des personnages –, la figuration est en contre-jour, parce que l’or renvoie la lumière et donc atténue la silhouette, et la rend presque en contre-jour. Très souvent. Et il y a des bibles comme ça. Et, moi, je ne comprends pas ça. Je ne comprends pas qu’on puisse utiliser l’or de cette manière-là. Et donc je l’utilise de manière beaucoup plus trash, beaucoup plus gestuelle. Et pour souligner des points de lumière. Qui sont des lignes, et non pas des fonds. Voilà. C’est juste la grande différence de l’usage habituel de l’or : chez moi, c’est arraché… il y a une violence. C’est virulent, parce qu’il y a ce geste – tout le temps – vivant du graphisme qui vibre. Mais jamais en tant que fond. Très peu, par erreur presque (sourire). Mais plutôt en points toniques et en ligne, plutôt qu’en fond…
NoTes
Une peinture qui agit par actes successifs, des temps bien distincts, dont on conserve l’intégrité. Et la visibilité.
Pose d’une couleur, d’un trait, griffures, estampages, peindre les vides (très important ça : peindre les vides)
Ces couches d’actes viennent confronter, affronter, se marier, rencontrer les autres phases opératoires de la peinture.
Chacune se distingue des autres, et vient composer ce qu’on pourrait appeler un arrangement en musique, une orchestration des strates, du vocabulaire pictural.
Mais chaque voix respecte les autres, fait attention de ne pas toucher les autres, de les abîmer. Chaque voix est avec, dans l’observation de ce que sont les autres, et du moment où elles ont été faites.
Alors il se produit parfois un phénomène à mille lieues de l’immédiateté (malgré la virulence), du signe, de l’affiche : le sujet est relégué loin, au fond, il est comme corrodé, couvert de neige, il passe en arrière, en arrière-plan, par des voix qui pourraient paraître secondaires, mais qui sont (la peinture, sa volonté, son affirmation) graphiquement plus visibles.
La peinture s’émancipe de son sujet (son thème dicible).
Elle crée une pudeur pour se dévoiler, elle.
Elle (enfonce) affirme la cause de peindre, le motif, au profit des phénomènes abstraits ou matériques qui lui sont propres, qui sont la peinture s’utilisant elle-même.
Comme si chaque geste était une intervention irrémédiable au monde.
Dans un espace qui tente de préserver les gestes précédents, ni les cacher, ni les subvertir, ni les trahir, ni les tuer et même dans toutes les imperfections qui font partie d’elles.
C’est très certainement une attitude que je porte au-delà de la peinture. Elle aurait un lien avec une forme d’application de l’Anarchie, en tant qu’éloge de chaque voix. Une personne, une voix et pas d’autorité sur les voix responsables.
Franck NA, 20 Mai 2016.